Judd entame sa carrière artistique au milieu des années 1950 en expérimentant la gravure sur bois ; il travaille alors des formes organiques arrondies puis s’essaie à des formes plus angulaires. Il s’oriente ensuite vers la peinture pour créer des formes flottantes sur des fonds lumineux qui rappellent les compositions de nombreux expressionnistes abstraits de l’époque. Ces toiles sont présentées au grand public dès 1957, date à laquelle il obtient sa première exposition personnelle à la Galerie Panoras de New-York.
À partir des années 1960 il décide de se concentrer sur l’élaboration d’œuvres véritablement réelles, qui ne seraient ni de la peinture ni de la sculpture : des volumes géométriques en trois dimensions, aux matériaux et couleurs industriels et qu’il appelle des « objets spécifiques » parce qu’il n’y sera plus question de modelage, de taille ou d’élagage qui ont trop d’effets anthropomorphiques. Parallèlement, il commence à utiliser des matériaux industriels comme le métal, le ciment ou le plexiglas pour fabriquer des formes simples qu’il dispose dans l’espace selon un procédé de répétition.
En 1964, il écrit un essai, considéré comme le manifeste du minimalisme, intitulé « Specific Objects ». Ce texte exalte l’apparition d’un nouveau type d’oeuvres qui ne sont ni des peintures ni des sculptures mais des volumes géométriques recouverts de couleurs industrielles. C’est aussi au cours de cette année qu’il cesse d’exécuter ses œuvres lui-même pour confier leur réalisation à des artisans professionnels.
Suite logique de l’effacement moderne du travail de l’artiste: à partir de 1966, il décide de faire fabriquer ses pièces en usine, de façon à éviter toute facture artisanale. Seul le résultat compte: voici le message ultime que doit véhiculer l’art. Nous sommes en pleine période des « boîtes », réalisations qui, selon Michel Gauthier, « ont charge, tout à la fois, d’acter et d’emblématiser la rupture de l’artiste avec la pratique picturale », et qui énoncent clairement les griefs adressés à ce tableau dont elles deviennent le substitut.
En troquant exemplairement la tôle galvanisée ou l’acier inoxydable contre le lin ou le coton, l’oeuvre adopte, d’une part, un matériau qui n’a pas pour fonction traditionnelle d’être le support d’une image, d’autre part, un volume qui rompt franchement avec la planéité du mur sur lequel il se détache. Ainsi un parallélépipède vient-il s’accrocher sur un mur pour y faire voir, non pas, comme le tableau, autre chose que lui-même, mais son être matériel, dans ses définitions morphologique, matériologique et volumétrique. En plaçant son plus grand côté de telle façon qu’il soit perpendiculaire au mur, et non parallèle comme l’est, d’ordinaire, celui du tableau… le parallélépipède de Judd accuse remarquablement sa tridimensionnalité. Voilà un parallélépipède qui ne cherche pas, sur le mur où il est accroché, à faire oublier son relief. En d’autres termes, cette « boîte », de la sorte disposée, dénonce objectivement deux illusions, un peu différentes, du reste, de celle pour laquelle Judd a officiellement renoncé à la peinture : « l’illusion qu’entretient la peinture d’être sans support, l’illusion qu’entretient ce support, le tableau, d’être exempt de troisième dimension. » (Les idéalités sculpturales, in art présence n° 22, avril 1997, p. 8).
Après les structures au sol, Judd commence à travailler sur des structures murales. Ces oeuvres, qu’il nomme « piles », sont constituées d’une succession de formes rectangulaires alignées verticalement contre le mur. Les éléments ne se touchent pas et les intervalles qui les séparent sont de la même hauteur que les parties pleines car ils font partie intégrante de l’oeuvre. Le nombre de parties pleines varie en fonction de la hauteur sous plafond mais doit être pair pour qu’aucune d’elles ne soit assimilable à un centre. Judd utilise différents matériaux et couleurs pour la réalisation de ses piles afin qu’elles échappent aux catégories de peinture et de sculpture. Se présentant soit comme une colonne mais dépourvue de socle (le premier élément n’est jamais posé au sol) soit comme une peinture mais accrochée à la verticale, ces oeuvres s’inscrivent en porte-à-faux des dualités plan/volume et verticalité/ horizontalité. Par la suite, Judd effectue des variantes, installant les éléments de ses piles selon des suites mathématiques. Ces oeuvres, nommées « progressions » par l’artiste, ont pour but d’échapper à l’expressivité.
En 1968, Judd, qui souhaite réaliser des oeuvres à l’échelle d’une pièce de façon à ce qu’elles interagissent avec l’espace environnant, fait l’acquisition d’un immeuble de cinq étages à New-York. C’est aussi à partir de cette date qu’il commence à produire des oeuvres en acier inoxydable et en béton pour des installations en extérieur. À partir de 1972, il s’installe dans un ranch au Texas de façon à continuer ses expérimentations en plein air. Un an plus tard, il achète les baraquements d’un aéroport désaffecté situé non loin de sa maison pour y installer ses oeuvres. C’est également à cette époque qu’il commence à s’intéresser au design. Il crée des chaises, des lits, des étagères, des bureaux, d’abord en pin puis en tôle et en acier.
À l’instar des mobiles de Calder, les pièces minimalistes de Judd ne font référence à rien d’autre qu’à elles-mêmes ; elles affirment leur forme, leur matériau, leur couleur et leur organisation interne. Les oeuvres de Judd se détachent de toute figuration illusionniste mais aussi de tout travail de composition esthétique. Les éléments identiques disposés sans hiérarchie qui constituent ses pièces ont pour seuls buts de provoquer une sensation visuelle immédiate et de transformer les espaces qui les accueillent.